mardi 24 février 2015

Des Vietnamiennes dans la guerre civile l’autre moitié de la guerre

Compte-rendu

Guillemot, François, and Nathalie Huynh Chau. Nguyen. Des Vietnamiennes dans la guerre civile l’autre moitié de la guerre, 1945-1975. Paris: Les Indes savantes, 2014

L’auteur du livre à l’étude, François Guillemot, travaille au CNRS dans la recherche sur l’Indochine. Dans le cadre de ce compte-rendu, sa dernière œuvre littéraire sera étudiée, soit le livre «Des Vietnamiennes dans la guerre civile, l’autre moitié de la guerre, 1945-1975». Histoire unidirectionnelle et ce, dans le sens du Parti communiste vietnamien, la guerre civile est perçue comme une nécessité à la victoire et à l’unification du Viet Nam. François Guillemot s’emploie à défaire cette affirmation. Pour le Parti, il y a des gagnants et des perdants, mais la complexité de la guerre ne peut se résumer à ces deux entités et donc l’auteur tente de rendre compte de la réalité complexe de la guerre en s’intéressant au cas des femmes. Pour François Guillemot, la guerre civile, au contraire d’avoir libérée le Viet Nam et d’avoir laissée d’un côté des vainqueurs, et de l’autre des vaincus, provoqua plutôt un embrouillement du social en impactant de manière particulièrement négative la vie des femmes, soit physiquement ou psychologiquement. Afin de soutenir sa thèse, l’auteur aborde le vécu des femmes tout au long de la guerre et ce, des deux côtés du 17e parallèle pour résumer la dure réalité à laquelle elles étaient confrontées. Dans une deuxième partie, il se concentre sur les TNXP[1], soit à l’utilisation des femmes dans la guerre par le Parti communiste qui se résuma généralement par un effondrement de leur vie respective.

            La première partie qui porte le titre de «Brutalités, flottements, exils : perceptions et voix féminines de la guerre du Viêt-Nam» (p.19), souligne l’éclatement de la situation de la femme au Viêt-Nam. À l’aide de nombreux témoignages, il rend compte de la réalité des femmes en abordant premièrement la « brutalisation du corps vietnamien...» (p.33). Il exécute un retour sur les nombreux viols exécutés par les soldats états-uniens «...où se mêle[nt] sadisme, vengeance et terrorisme» (p.36). Ensuite, l’auteur, dans «engagements croisés» (p.43), traite des nombreuses décisions prises par les femmes dans leur engagement, donc soit par volonté révolutionnaire ou pour échapper aux viols. Par contre, peu importe leurs motifs, on remarque que lors de l’enrôlement, il y a un certain effacement des rapports inégaux entre hommes et femmes en contexte de guerre.  La section qui suit, «flottements, égarements» (p.55), témoigne plutôt de l’effet inverse. Si celle-ci semble réduire les écarts de genre, elle participe plutôt à une destruction psychologique des femmes. Ce flottement se traduit par une peur constante, un «...oubli de soi...» (p.64), des sacrifices tels que la prostitution, donc à un trouble de la femme en société. Les derniers titres abordés, «exils intérieurs [...] [et] exils extérieurs...» (p.67 et 76), traitent de l’égarement d’après-guerre, où «...le retour à la paix ne met pas fin aux drames humains.»(p.68) En effet, les femmes qui ont combattu se retrouvent exclues parce que trop vieilles malgré leur jeune âge, trop malades, alors que les femmes qui ont connu la prostitution se trouvent déshonorées et d’autres, sans mari, sont dans une situation financière difficile à supporter. À travers les nombreux témoignages et sources amassées, François Guillemot expose l’impact destructeur et disjonctif de la guerre pour les femmes, à l’inverse du discours actuel.
            Dans sa deuxième partie, soit «...Les jeunesses de Choc (TNXP) du sacrifice guerrier à la reconnaissance politique» (p.93), l’auteur aborde les jeunesses de choc afin de montrer les diverses versions de la guerre même du côté révolutionnaire et ainsi compromettre la ligne directrice vietnamienne. Pour se faire, l’auteur revient d’abord sur la construction de ces entités (TNXP) et souligne l’importante place qu’occupent les femmes, soit de 50 à 70% (p.131). Il se penche ensuite sur les «corps au cœur de la guerre...» (p.138), donc à la flétrissure des corps et des esprits féminins. Il aborde plusieurs types de corps qui se dégradent dans le temps, par exemple les «corps fiévreux» (p.143) à cause du paludisme ou les «corps affamés et assoiffés» (p.145). Le but est de souligner l’ambigüité de la guerre civile de même que la façon dont l’auteur aborde les «souffrances de l’après-guerre...» (p.170). Dans cette section est mit l’accent sur la difficulté à se remettre de la guerre pour les femmes et sur la «...dépression et [...] [le] désenchantement» (p.170) des filles après la guerre. Effectivement, elles sont habitées par des troubles physiques nombreux, mais aussi pathologiques et ces troubles aboutissent à leur exclusion sociale. Elles sont «à la fois victimes de la guerre puis cible du poids de la tradition...» (p.172). Ainsi, par l’étude des TNXP, François Guillemot démonte le mythe des unités glorieuses et gagnantes, pour offrir une réalité plus contrastée et qui fut, pour les femmes, un égarement de leur vie.

            Tout au long de son œuvre, l’auteur fait appel à une multitude de sources, allant de récits réels, d’études, de production de connaissance par le Parti communiste vietnamien. C’est là que repose la notoriété du livre, dans ce sens où plusieurs points de vue sont pris en considération en et ce, dans diverses langues. Par contre, alors que l’auteur expose une problématique assez précise quant à la situation des femmes lors de la guerre civile au Viêt-Nam, un manque est notable en ce qui concerne le contexte général. En effet, si l’état des faits est très complet pour le vécu des femmes, le lecteur ne peut savoir, par exemple, à quoi fait référence l’auteur par rapport à certains lieux. C’est le cas lorsqu’il aborde la composition des TNXP et qu’aucune carte n’est mise en référence, ou encore lorsqu’il énumère la composition du corps militaire révolutionnaire et qu’aucun schème n’est présent (p.119).

            Pour conclure, alors que le Parti communiste du Viêt-Nam continue d’entretenir le mythe d’une guerre de vainqueurs contre vaincus, François Guillemot souligne plutôt l’aspect déconstruit et destructeur de la guerre dans la vie des femmes et réussit à rendre compte de cette réalité par l’état des faits des femmes en général, puis ensuite la réalité des filles faisant parties de TNXP, donc au front. Malgré les quelques failles telles que le manque d’information quant au contexte, le livre «Des Vietnamiennes dans la guerre civile l’autre moitié de la guerre, 1945-1975» rend compte d’une réalité encore peu connue de l’histoire du Viêt-Nam et remet en cause les effets d’une société patriarcale.                                         

Daphnée Warnet-Atlas         




[1] Thanh Niên Xung Phong, Jeunesses de Choc